jeudi 10 mars 2016

Voltaire et les frères Dalton-Barral (1757-1778) par Georges Salamand

Les récents et tragiques événements survenus l'an dernier, ont donné un coup de projecteur inattendu à la personnalité et à l’œuvre de VOLTAIRE (1694-1778), en particulier à l'un de ses textes essentiels, le « Traité sur la tolérance » écrit lors du combat du philosophe pour le triomphe de la vérité lors de l'affaire CALAS. 
Voltaire

Scrutée par nos contemporains, à la recherche d'une relative explication aux crimes de certains fanatiques de tous bords, la correspondance copieuse - 23.000 lettres connues - de l'ermite de Ferney se révèle cependant d'un accès difficile hors de son contexte historique, et lassante du fait des redites, car, de même qu'un humoriste prétendait que VIVALDI n'avait pas composé 500 concertos, mais 500 fois le même concerto, on assura que VOLTAIRE n'écrivait pas tous les jours trente lettres, mais chaque jour la même lettre à trente correspondants différents à travers l'Europe ! 

Parmi les « Pauci vero electi » qui bénéficièrent alors des lumières de l'Homme des Lumières, figuraient deux amis de collège, cousins germains des BARRAL d’Allevard, les deux frères FERRIOL : d'ARGENTAL et PONT-de-VEYLE, surnommés par le philosophe « mes chers anges », et rejetons d'un couple étrange formé par Augustin de FERRIOL, président au Parlement de Metz, cocu placide à la digestion lourde mais aux homériques colères, et sa légitime, la belle
Angélique de Tencin
Angélique de TENCIN, qui était, tout à la fois, la sœur aînée de la « scélérate chanoinesse » mère de D’ALEMBERT et la maîtresse successivement ou simultanément de tous les ministres apparentés au grand COLBERT…Tout en prodiguant ses faveurs intimes quoique si peu secrètes aux maréchaux de VAUBAN, qui eut sans doute d'autres places plus difficiles à prendre, et d'HUXELLES dont on assurait qu'il naviguait pourtant à voile et à vapeur.

 On raconte aussi que madame de FERRIOL qui le trompait « utile », se vengeait de son bonnet-de-nuit de mari en cachant, au domicile conjugal, le jeune ROUSSEAU que son époux haïssait et qu'elle déguisait d'une perruque couleur blé-tendre pour passer à table. 

Congédié en 1753, comme un valet, par le roi de Prusse FREDERIC II, VOLTAIRE, grâce au banquier TRONCHIN, dont il partage les services avec le cardinal de TENCIN, frère cadet d’Angélique de FERRIOL, ministre d’État, grand-oncle et parrain de Paulin de BARRAL, s'installe à Genève, aux « Délices », où il reçoit pour quelques semaines, en 1757, la marquise de MONTFERRAT, épouse de Jean-Baptiste de BARRAL, seigneur d'Allevard et président au parlement de Grenoble, venue en famille faire inoculer son fils unique, Paulin, par les collaborateurs du docteur Théodore TRONCHIN.
Paulin de Barral

Soucieux de rentrer en grâce auprès du roi de France, l'auteur de « Zadig » fait une cour éhontée à la marquise qu’il juge «  belle, bonne et lettrée ». La dame d’Allevard descendait du roi HENRI Ier et était apparentée aux plus grandes familles des royaumes de France et d’Angleterre, nièce du cardinal de TENCIN,  petite cousine du fameux d'ARTAGNAN, sœur de la jolie Anne d'AMBLIMONT, confidente intime de la POMPADOUR, et cousine germaine de Charles LENORMANT d'ETIOLES, alias « Monsieur POMPADOUR » cocu de qualité...royale ! La cible du philosophe était parfaitement choisie pour faciliter son retour en grâce…

Alors que le président grenoblois, remarqué des Genevois pour sa sordide avarice, s'occupe de l'enfant inoculé, VOLTAIRE multiplie les ronds-de-jambes en dédiant à Madame de BARRAL quelques vers charmants : 

« Les malins qu'Ignace engendra  
Ces raisonneurs de Jansénistes 
Et leurs cousins les Calvinistes  
Se disputent à qui l'aura.  
Les Grâces dont elle est l'ouvrage 
Disent : Elle est notre partage 
Et c'est à nous qu'elle restera ! »(*).

La défaite des Français face aux Prussiens à Rossbach va rendre vaine la tentative de séduction du bonhomme VOLTAIRE qui se débarrassera illico du couple devenu dès lors bien encombrant.

Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire …

Quelques années plus tard lors de l'affaire SIRVEN, du nom de la fille d'un feudiste protestant de Mazamet, le philosophe s'en prendra très vivement et injustement à l'évêque de Castres, Jean-Sébastien de BARRAL et à sa sœur Marie-Félicité, accusés d'avoir converti de force la pauvre fille. Une mauvaise pioche car, partisan des Lumières, ce frère cadet de Jean-Baptiste était admiré pour...sa tolérance envers les réformés ! 

Pour autant les coups de VOLTAIRE sur le très avaricieux magistrat allevardin se multiplieront souvent, non sans malice, en particulier quand le philosophe alors à Ferney recevra la visite du petit-fils du grand CORNEILLE : « Soldat, déserteur, vagabond et parfait honnête homme » expédié chez lui par BARRAL qui ne lui avait offert que des conseils, sans lui proposer le boire ni le manger, lors de son passage à Grenoble.
Claude-Mathias de Barral

A son décès survenu à Paris en 1778 dans les affreuses conditions que l’on sait, VOLTAIRE une fois embaumé, sera inhumé par les soins de son neveu l’abbé MIGNOT, à l'abbaye de Sellières en Champagne, en dépit de l'interdit absolu de sépulture prononcé par...l'évêque de Troyes, Claude-Mathias de BARRAL, ancien prieur de Saint-Pierre d’Allevard et quatrième frère Dalton-Barral, qui, nous dit-on, «  aurait ordonné à son clergé de jeter au ruisseau ces restes impies ». 
Ce que les moines refusèrent de faire… Pour autant, la vengeance des BARRAL se mangeait, en l’occurrence,  bien froide : mais ah, mon Dieu ! (sic) qu'il était long le chemin du Panthéon !

(*) Georges Salamand : « Les évêques Barral d'Allevard » 1996


G.S




Texte paru dans «  les Affiches de Grenoble et du Dauphiné » du 20 février 2016 – avec l’aimable autorisation du journal.




mardi 8 mars 2016

Comment Adèle de Bellegarde, aristocrate savoyarde, devint modèle pour le peintre David.



Au cours d’une fête, les hommes de Romulus ont enlevé les femmes et les filles des Sabins. Les Sabins engagent le combat pour les récupérer, lorsque les Sabines accourent et séparent les belligérants. Au centre du tableau, Hersilie maintient, bras étendus, d’un côté son époux Romulus, de l’autre, son père, Tatius. A ses pieds, une jeune femme brune, poitrine dénudée protège des petits enfants..


Cette jeune femme, c’est Adèle de Bellegarde, née à Chambéry en 1772. Elle est élevée en aristocrate érudite, l’été au château des Marches en Savoie, l’hiver en l’hôtel Bellegarde à Chambéry. Adèle est jolie, indépendante, son esprit est largement ouvert aux idées françaises des Lumières par ses parents.

A 15 ans elle est mariée à un cousin de son père portant le nom de « Bellegarde ». Le père d’Adèle a 3 filles et ne veut pas voir s’éteindre le nom de Bellegarde. Adèle n’apprécie guère ce cousin quadragénaire colonel dans l’armée piémontaise. Heureusement, pour Adèle son service auprès du roi  la laisse souvent seule et elle s’en trouve fort aise. Ils auront une fille puis un garçon.

A Paris…. C’est la révolution. La Savoie accueille, à la fois, les immigrants aristocrates et les idées des révoltés. Adèle vit ces instants avec beaucoup de curiosité et désire en savoir plus. Mais l’arrestation de Louis XVI à Varennes provoque la panique. Frédéric de Bellegarde expédie sa femme, ses enfants et sa belle sœur en Piémont. L’accueil est froid à Turin : les Piémontais se désintéressent de la Savoie depuis longtemps. Adèle est déçue. En Savoie, en revanche, les français sont accueillis avec enthousiasme. En septembre 1792, le château des Marches est ouvert au général de Montesquieu. Les Français marchent sur Montmélian et Chambéry. Frédéric de Bellegarde se replie avec ses soldats et retrouve sa famille sur la place forte de Pignerol.

Le 14 décembre 1792, l’assemblée des Allobroges réunie en la cathédrale de Chambéry, vote la réunion de la Savoie à la France et annonce que tout émigré qui ne rentre pas sous 2 mois, verra ses biens confisqués. Adèle et sa sœur rentrent pour sauver le patrimoine familial. Elles sont enregistrées à Chambéry, dès leur arrivée. Adèle découvre alors, des  « révolutionnaires » cultivés, aristocrates qui savent vivre dans son monde. Elle n’hésite pas à accompagner Hérault de Séchelles et Philibert Simond pour répandre les idées nouvelles à travers la Savoie. Dans la population l’aigreur et le dépit succèdent vite à l’enthousiasme : l’application administrative nouvelle se heurte à l’organisation traditionnelle de la Savoie. La révolte éclate par endroits. Sentant le vent tourner, les dames de Bellegarde partent vers Paris. La vie facile n’existe plus à Paris. La Terreur s’installe. Hérault de Séchelles, Danton, Fabre d’Eglantine, Camille Desmoulins sont guillotinés. Adèle et sa sœur sont emprisonnées à St Lazare, échappent de peu à la sinistre machine vers laquelle sera emmené un jeune et beau poète, André Chénier.

Adèle est accablée par le désespoir. En juillet 1794, elle et sa sœur sont libérées. Soutenues par Aimée de Coigny qu’elles ont connue en prison, elles retrouvent une vie parisienne cultivée ouverte aux arts. Elles deviennent les égéries des salons en vogue (Mme de Staël, Mme Vigier Lebrun). Une liaison avec un chanteur mondain, Pierre Garat, donnera à Adèle 2 enfants : Une fille que Pierre Garat gardera lors de la séparation et un garçon qu’Adèle élèvera seule. A cette même époque, Mme de Noailles fait se rencontrer Louis David et Adèle dans l’atelier de ce dernier. Emue par la beauté d’Adèle et touché par sa réputation de femme libre de sa pensée, il lui propose d’être modèle dans son tableau « l’Enlèvement des Sabines ». Adèle sera critiquée et insultée pour sa prestation. Adèle de Bellegarde ne reviendra jamais en Savoie, ne reverra jamais ses enfants piémontais et mourra chez son fils français, à Paris, en 1830.

Gneviève LEHMANN

Bibliographie : "Femmes et rebelles du 15e au 21e siècle en Savoie" de Jean Marie Jeudy, éditions "en train de lire" DFIS


le bureau de l'AMPA et la galette tradionnelle

  Les membres des Amis des Musées du Pays d'Allevard,  ont partagé la traditionnelle galette avec quelques invités: Yves de Bossoreille ...