mardi 8 mars 2016

Comment Adèle de Bellegarde, aristocrate savoyarde, devint modèle pour le peintre David.



Au cours d’une fête, les hommes de Romulus ont enlevé les femmes et les filles des Sabins. Les Sabins engagent le combat pour les récupérer, lorsque les Sabines accourent et séparent les belligérants. Au centre du tableau, Hersilie maintient, bras étendus, d’un côté son époux Romulus, de l’autre, son père, Tatius. A ses pieds, une jeune femme brune, poitrine dénudée protège des petits enfants..


Cette jeune femme, c’est Adèle de Bellegarde, née à Chambéry en 1772. Elle est élevée en aristocrate érudite, l’été au château des Marches en Savoie, l’hiver en l’hôtel Bellegarde à Chambéry. Adèle est jolie, indépendante, son esprit est largement ouvert aux idées françaises des Lumières par ses parents.

A 15 ans elle est mariée à un cousin de son père portant le nom de « Bellegarde ». Le père d’Adèle a 3 filles et ne veut pas voir s’éteindre le nom de Bellegarde. Adèle n’apprécie guère ce cousin quadragénaire colonel dans l’armée piémontaise. Heureusement, pour Adèle son service auprès du roi  la laisse souvent seule et elle s’en trouve fort aise. Ils auront une fille puis un garçon.

A Paris…. C’est la révolution. La Savoie accueille, à la fois, les immigrants aristocrates et les idées des révoltés. Adèle vit ces instants avec beaucoup de curiosité et désire en savoir plus. Mais l’arrestation de Louis XVI à Varennes provoque la panique. Frédéric de Bellegarde expédie sa femme, ses enfants et sa belle sœur en Piémont. L’accueil est froid à Turin : les Piémontais se désintéressent de la Savoie depuis longtemps. Adèle est déçue. En Savoie, en revanche, les français sont accueillis avec enthousiasme. En septembre 1792, le château des Marches est ouvert au général de Montesquieu. Les Français marchent sur Montmélian et Chambéry. Frédéric de Bellegarde se replie avec ses soldats et retrouve sa famille sur la place forte de Pignerol.

Le 14 décembre 1792, l’assemblée des Allobroges réunie en la cathédrale de Chambéry, vote la réunion de la Savoie à la France et annonce que tout émigré qui ne rentre pas sous 2 mois, verra ses biens confisqués. Adèle et sa sœur rentrent pour sauver le patrimoine familial. Elles sont enregistrées à Chambéry, dès leur arrivée. Adèle découvre alors, des  « révolutionnaires » cultivés, aristocrates qui savent vivre dans son monde. Elle n’hésite pas à accompagner Hérault de Séchelles et Philibert Simond pour répandre les idées nouvelles à travers la Savoie. Dans la population l’aigreur et le dépit succèdent vite à l’enthousiasme : l’application administrative nouvelle se heurte à l’organisation traditionnelle de la Savoie. La révolte éclate par endroits. Sentant le vent tourner, les dames de Bellegarde partent vers Paris. La vie facile n’existe plus à Paris. La Terreur s’installe. Hérault de Séchelles, Danton, Fabre d’Eglantine, Camille Desmoulins sont guillotinés. Adèle et sa sœur sont emprisonnées à St Lazare, échappent de peu à la sinistre machine vers laquelle sera emmené un jeune et beau poète, André Chénier.

Adèle est accablée par le désespoir. En juillet 1794, elle et sa sœur sont libérées. Soutenues par Aimée de Coigny qu’elles ont connue en prison, elles retrouvent une vie parisienne cultivée ouverte aux arts. Elles deviennent les égéries des salons en vogue (Mme de Staël, Mme Vigier Lebrun). Une liaison avec un chanteur mondain, Pierre Garat, donnera à Adèle 2 enfants : Une fille que Pierre Garat gardera lors de la séparation et un garçon qu’Adèle élèvera seule. A cette même époque, Mme de Noailles fait se rencontrer Louis David et Adèle dans l’atelier de ce dernier. Emue par la beauté d’Adèle et touché par sa réputation de femme libre de sa pensée, il lui propose d’être modèle dans son tableau « l’Enlèvement des Sabines ». Adèle sera critiquée et insultée pour sa prestation. Adèle de Bellegarde ne reviendra jamais en Savoie, ne reverra jamais ses enfants piémontais et mourra chez son fils français, à Paris, en 1830.

Gneviève LEHMANN

Bibliographie : "Femmes et rebelles du 15e au 21e siècle en Savoie" de Jean Marie Jeudy, éditions "en train de lire" DFIS


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